Les contours d’une large autonomie pour la Guyane
QUELLE ÉVOLUTION DE LA
CONSTITUTION POUR QUELLE AUTONOMIE DE LA GUYANE ?
Les contours d’une large autonomie pour la
Guyane
Stéphane Diémert
États généraux de la Guyane - 5 avril 2018
Autonomie !
Ce mot, qui est chargé d’une connotation
aussi porteuse de promesse, pour les uns, que de craintes, pour les autres, est
assez mal défini en droit constitutionnel français.
L’étymologie du mot nous vient du grec :
-
« autos », soi-même
-
et «
nomos », droit, loi, normes ;
l'entité autonome est donc celle « qui
secrète elle-même ses propres normes »
L’autonomie interne est ainsi
définie :
(in Vocabulaire
juridique, G. CORNU, PUF, coll. Quadrige 2014)
Il s’agit du statut
d’entités juridiques non souveraines, au regard du droit international, et dont
les relations internationales sont assurées par un État souverain, mais qui
n’en détiennent pas moins compétence pour déterminer librement les règles
régissant l’organisation et le fonctionnement de leurs pouvoirs publics ainsi
que les modalités de leur action sur le plan interne.
v 1. En droit constitutionnel français, terme « autonomie »
n’a été mentionné qu’à deux reprises dans la Constitution, et encore, pas de
manière simultanée :
a) À
titre désormais historique, dans
l’article 77 initial , à propos des États de la Communauté, instituée entre la République et ceux
de ses territoires d’Outre-mer qui ont choisi ce statut sur décision de leur
assemblée territoriale en vertu de l’article 76, dans les 6 mois suivant la
promulgation de la Constitution :
« Dans la Communauté instituée
par la présente Constitution, les États
jouissent de l'autonomie ; ils s'administrent eux-mêmes et gèrent
démocratiquement et librement leurs propres affaires. »
Cette disposition a été vidée
de sa substance avec la révision constitutionnelle du 4 juin 1960 qui a permis
la « déconstitutionnalisation » de la Communauté par voie d’accords
entre la République et ses autres membres. L’article 77 fut formellement abrogé
par la loi constitutionnelle du 4 août 1995. Il a été recréé le 20 juillet 1998
pour contenir l’actuel statut transitoire de la Nouvelle-Calédonie – statut
qui, pour autonome qu’il soit, ne mentionne jamais ce terme…
b)
Dans le droit positif, il figure dans l’article 74, dans la rédaction que lui a
donnée la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’administration
décentralisée de la République, pour qualifier certaines des collectivités
d’Outre-mer régies cet article : ainsi qualifiées par leur loi organique
statutaire comme « dotées de
l’autonomie », elles possèdent
des compétences et jouissent de garanties dont ne bénéficient pas les
collectivités d’Outre-mer « ordinaires » (not dotées de
l’autonomie). Sont ainsi « dotées de l’autonomie » par le législateur
organique : la Polynésie française, Saint-Barthélemy et Saint-Martin (mais
ni Saint-Pierre et Miquelon, ni Wallis-et Futuna), soit 3 COM sur 5. Ainsi, une
collectivité d’Outre-mer régie par l’article 74 peut être dotée d’une très
large compétence normative sans être pour autant expressément reconnue comme « autonome »
au sens de la Constitution.
Cette divergence entre le sens commun du concept et la
portée que lui donne la Constitution s’explique pour des raisons purement
politiques et conjoncturelles : le Constituant
de 2003 a voulu conserver à la Polynésie française – et à son président de
l’époque, alors très influent auprès du Président de la République – le
bénéfice du « statut d’autonomie » que lui avait conféré – mais alors
sans le moindre fondement constitutionnel – la loi organique du 12 avril 1996[1] dont
la portée était donc sur ce point assez déclarative.
Par ailleurs, le
législateur a utilisé le terme d’autonomie
dans des anciens statuts d’Outre-mer ; tel fut le cas pour les statuts antérieurs
de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie (1976-1977-1984-1988-1996)[2] :
- « l’autonomie
interne » (pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française :
les lois statutaires du 6 septembre 1984[3] [4]) ;
- « l’autonomie
et la régionalisation » (loi n° 88-82 du 22 janvier 1988 portant
statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie) ;
- « l’autonomie
administrative et financière » (loi n° 77-772 du 12 juillet
1977 relative à l’organisation de la Polynésie française) ;
- « l’autonomie financière »
(loi n° 76-1222 du 28 décembre 1976 relative à l’organisation de la
Nouvelle-Calédonie).
En revanche, la Charte européenne de l’autonomie locale –
ratifiée par la France en 2005 – est moins exigeante :
« Par autonomie locale, on entend le droit et la capacité effective pour
les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous
leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part
importante des affaires publiques. »
v 2. Il est à peu près
certain que, en dehors de celles l’article
74 et de l’article 77, aucune des collectivités territoriales françaises ne
peuvent être aujourd’hui regardées comme « autonomes » - même si
celles de l’article 73 bénéficient d’une protection constitutionnelle
particulière, s’agissant au moins :
-
de leur évolution statutaire vers
l’article 74 (qui ne peut leur être
imposée par le législateur sans le consentement de leurs électeurs), de la
fusion des assemblées ou des collectivités pour celles d’entre elles qui ont
été soumises en 1982 au régime de la région monodépartementale,
- et des possibilités d’intervention dans le domaine de la
loi et du règlement, selon des procédures assez contraintes, mais qui
s’expliquent aisément dès lors que l’on veut bien admettre que l’article 73
IMPLIQUE autant juridiquement que politiquement l’identité législative.
v 3. En droit
constitutionnel comparé, en revanche, l’autonomie des collectivités
« périphériques » est riche d’enseignements : ainsi, et pour
nous limiter aux États partenaires de l’Union européenne,
- l’Espagne (avec
ses communautés autonomes),
- le
Portugal, avec ses deux régions autonomes de Madère et des
Açores,
- les Pays-Bas, avec
leurs trois pays des Antilles
néerlandaises (Aruba, Curaçao et Sint-Maarten – ce dernier se qualifiant
lui-même dans la version anglaise officielle de sa Constitution de « Country within the Kingdom of the
Netherlands »),
- l’Italie, avec ses cinq régions (ou
provinces) à statut spécial[5],
- et même la Finlande
(avec les îles Åland[6]),
nous offrent des
pistes très intéressantes de comparaison et de réflexion, comme on le verra.
v 4. Définir les « contours » d’un statut de large
autonomie, c’est – si j’ai bien
compris la portée du sujet qu’il m’est imparti de traiter – se limiter au contenant plus qu’au contenu,
à l’enveloppe davantage qu’à la substance. C’est définir un cadre
constitutionnel susceptible de permettre la mise en œuvre d’un statut
d’autonomie, qui prendra, au terme d’un processus à définir, la forme d’un acte
législatif, voire constitutionnel, de l’État, mais qui pourra avoir été élaboré
sur la proposition ou avec l’accord de la Guyane –sur décision de son assemblée
et/ou avec le consentement de ses électeurs se prononçant par la voie du
référendum.
a)
Il est évident que, s’il ne s’agissait
que d’envisager la transformation de la Guyane en collectivité d’Outre-mer
régie par l’article 74 de la Constitution, nous ne serions pas réunis
aujourd’hui autour du thème de la révision constitutionnelle puisqu’à droit
constitutionnel inchangé, cette évolution est possible – sous réserve que les
électeurs guyanais le décident - ce qui
n’est pas gagné d’avance…
En outre, l’article 74 souffre lui-même de quelques imperfections
et insuffisances ; en particulier, il ne comporte pas les mécanismes
démocratiques permettant aux électeurs d’approuver les modifications du statut
de leur collectivité : choisir d’y entrer, c’est donc faire une sorte de
« saut dans l’inconnu » puisqu’une fois l’article 73 quitté, on ne
dispose d’aucune espèce de garantie quant à la définition ultérieure du régime
législatif et du partage de compétences entre l’État et la collectivité.
b)
Il faut donc « inventer » autre chose, ce que le pouvoir constituant peut faire, puisqu’il est juridiquement
souverain, et n’est soumis au respect d’aucune autre norme de droit
interne. Pour citer me Pr. Carré de Malberg, « au delà de la Constitution, il ne subsiste plus que du fait ».
Toutefois, il faut rappeler que les révisions sont censées respecter la
« forme républicaine du gouvernement », sans que l’on sache trop ce
que la conception française de la République recouvre, du moins en droit. En
tout état de cause, le Conseil constitutionnel a décliné sa compétence pour
exercer un tel contrôle (Cons. const., n° 2003-469 DC du 26 mars 2003[7]).
La révision constitutionnelle annoncée par le Président de
la République peut permettre de doter enfin et sans doute définitivement - l’Outre-mer
d’un cadre constitutionnel à la fois évolutif, assoupli et démocratisé qui
permette à chaque territoire une évolution qui lui soit propre, conforme à la
volonté de sa population. Les occasions de cette sorte ne se présentent pas si
souvent, et constituent donc une opportunité à ne pas manquer pour tracer les
voies d’un avenir constitutionnel renouvelé pour l’Outre-mer français.
Il s’agit donc de prolonger et d’amplifier le mouvement
amorcé par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 :
-
1/ permettre des évolutions
adaptées ;
-
2/ recueillir l’accord des électeurs
du territoire concerné ;
-
3/ adopter des solutions statutaires
et institutionnelles innovantes, protectrices des libertés locales,
et, le tout, sans déroger :
-
1/ ni aux principes de l’État de
droit,
-
2/ ni aux règles qui garantissent
l’unité nationale et l’indivisibilité de la République ainsi que l’uniformité
des droits constitutionnels des citoyens français, quelle que soit leur
origine, sur l’ensemble du territoire national.
Je suppose donc ici que l’on peut être a priori d’accord pour
exclure du champ de nos débats des solutions « séparatistes » - tels
que l’indépendance-association, ou d’autres solutions juridiquement délétères
impliquant une « citoyenneté à plusieurs vitesses » et une
restriction des droits civiques - qui sont d’ailleurs peu compatibles avec nos
traditions républicaines : sur ce point précis, le précédent de la
Nouvelle-Calédonie et de son corps électoral restreint n’est pas à dupliquer,
quelles que soient ses justifications dans le cadre du processus politique très
particulier de ce territoire.
*
*
*
Annonce de plan :
J’examinerai successivement les quatre points
suivants :
1. Les
insuffisances et les « angles morts » du cadre constitutionnel
actuel, et spécialement des articles 72-3, 73 et 74.
2. Les
enseignements du droit comparé en termes de solutions évolutives, protectrices
des libertés locales et des droits des citoyens
3. Ce
que pourrait être le cadre constitutionnel renouvelé d’un statut évolutif et différencié
d’autonomie pour chacun des territoires de l’Outre-mer français, dans le cadre d’un État de droit toujours unitaire,
et la forme des dispositions constitutionnelles à insérer dans la révision à
venir.
*
*
*
I.
Les insuffisances et les « angles morts » du cadre
constitutionnel actuel et spécialement des articles 72-3, 73 et 74.
1.1. Incontestablement, la loi constitutionnelle du 28 mars
2003 a constitué une évolution remarquable du droit de l’Outre-mer, en introduisant dans la Constitution des
procédures et des garanties nouvelles :
-
le principe même de possibles évolutions statutaires
qui avait disparu du texte constitutionnel après le 4 février 1959 par
expiration des effets de l’article 76,
alors que la Constitution posait expressément ce principe en son article
75[8] ;
-
le principe démocratique, selon lequel les
changements de statut de l’article 73 vers l’article 74 ou vice-versa, ou
certaines évolutions institutionnelles spécifiques aux DROM (collectivité
unique, assemblée unique) doivent recueillir le consentement des électeurs ;
-
pour
les collectivités régies par l’article 73 des éléments de souplesse dans l’adaptation des normes;
-
dans
le cas des collectivités régies par l’article 74des éléments de souplesse – permettant un statut « sur mesure »
et une échelle de spécialité législative, et des garanties spécifiques, telles que
la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel pour constater la
méconnaissance par le législateur des compétences qui leur son attribuées par
le statut.
Cette réforme
constitutionnelle a ainsi :
-
permis
la tenue de 5 consultations statutaires
et de 4 consultations institutionnelles,
-
conduit
à trois changements de statuts, avec :
o
la création de deux C.OM. régies par l’article
74 par détachement d’un DOM (Saint-Barthélemy et Saint-Martin),
o
à l’accession d’une C.O.M. de l’article 74 au
statut de l’article 73 (Mayotte)
-
la
disparition, mais seulement en Guyane et en Martinique pour l’instant, de
l’absurde système des deux collectivités territoriales majeures et concurrentes
sur un même territoire ;
-
institué
un régime statutaire d’une grande souplesse et d’une grande diversité pour les
COM de l’article 74, qui comprend désormais des statuts modulant la spécialité
législative et le transfert de compétences, allant de la Polynésie française
très autonome à Saint-Pierre et Miquelon très largement soumis au droit commun
national (alors que le statut des anciens TOM, longtemps perçu comme une
antichambre l’indépendance ne permettait pas de manière évidente cette
modulation).
1.2. Pour autant, la révision de 2003, alors que quinze années
déjà se sont écoulées depuis sa promulgation, a montré ses limites :
1.2.1 Le régime des
collectivités régies par l’article 73 est perçu comme trop contraignant –
mais peut-il en aller autrement dès lors qu’est posé le principe d’identité
législative adaptée ?
À mon avis, on critique un peu trop vite ses
limites fondamentales, qui n’ont que peu à voir avec l’éventuelle frilosité des
collectivités concernées, ou avec les
conditions d’exercice du pouvoir législatif au niveau national, souvent trop
cahotiques et trop éloignées des préoccupations de l’Outre-mer … Mais enfin, il
existe bien une opinion très répandue sur ce point, et elle n’est pas
totalement infondée ! Il est
certain que la démarche du Constituant de 2003 est restée prudente – trop prudente ? - sur la question
des adaptations des lois et règlements par les institutions territoriales, dans
un contexte politique où il convenait de réaffirmer la « primauté »
du principe d’identité et de bien distinguer les régimes respectifs de
l’article 73 et de l’article 74.
1.2.2. Par ailleurs, l’article
74 – ou du moins l’interprétation et utilisation qui en ont été faites,
notamment par les juridictions - s’est
révélé incomplet et parfois trop contraignant pour les collectivités, confrontées
à des problèmes juridiques d’une grande complexité, notamment dans la
définition et la protection de leurs compétences, et dans la détermination des
normes étatiques applicables sur leur territoire ;
1.2.3. En outre, les
garanties constitutionnelles dont bénéficient les collectivités
ultra-marines sont – comme d’ailleurs celles des collectivité territoriales en
général dans la tradition constitutionnelle française, encore trop
limitées quant à la protection de leur existence, de leur stabilité
institutionnelle et de leurs compétences contre les incursions du législateur
national :
a)
ainsi,
si les articles 73 et 74 garantissent la substance d’un régime statutaire, ils ne protègent en rien l’existence même
d’une collectivité déterminée, que le législateur peut en théorie diviser, subdiviser,
supprimer ou remplacer sans même consulter les électeurs intéressés ;
b)
ce qu’une loi, même organique, a fait,
une autre peut le défaire…
les collectivités n’ont pas le pouvoir de s’opposer à une modification de la
substance de leur statut, du moins tant que le législateur qui entend le
modifier respecte la Constitution ;
c)
les collectivités ne peuvent saisir directement
le Conseil constitutionnel que dans des hypothèses assez limitées (et seules le peuvent les trois COM
« dotées de l’autonomie» de l’art. 74 : Polynésie française,
Saint-Barthélemy, Saint-Martin), outre la procédure de question prioritaire de
constitutionnalité qui est d’un piètre secours pour assurer la protection des
compétences locales ;
d)
En matière
d’engagements internationaux et
européens, les collectivités ultra-marines, si elles ne sont pas dénuées de
quelque pouvoir d’initiative, sont sans prises sur la modification du droit
applicable sur leur territoire ;
e)
Enfin, les
collectivités ultra-marines n’ont pas un accès direct au processus décisionnel législatif
national que ce soit pour l’élaboration de leur statut propre come
pour celle des normes étatiques applicables sur leur territoire : « leurs » parlementaires
sont les élus de la Nation, et non les représentants de la collectivité
« majeure » qui ne les désigne pas puisque – pour les sénateurs, ses
élus ne sont qu’une part relativement faible des « grands
électeurs » ; en outre, la participation même à titre consultatif
d’élus territoriaux aux travaux du Parlement est étrangère à la tradition
française.
1.2.4. Dans le domaine des garanties
démocratiques, le Constituant s’est, à l’évidence, montré beaucoup trop
timoré – et la situation n’a pas évolué depuis…
a.
Certes,
ces garanties – réservées à l’Outre-mer, au nom du droit à l’autodétermination,
auquel le Conseil constitutionnel a fort heureusement et intelligemment reconnu
en 2000 une portée en droit interne –
sont réelles, mais elles s’arrêtent – outre le cas de la collectivité/assemblée
unique - à la seule question du changement de statut ;
b.
Les
autorités nationales sont en droit de ne donner aucune suite à un changement
statutaire pourtant approuvé par les électeurs ; ces derniers donnent donc
leur autorisation pour un tel changement, mais le statut lui-même peut ne
jamais intervenir… La possibilité d’une telle inertie du législateur, assez
étonnante sur le plan des principes, n’est pas une hypothèse d’école : je
puis témoigner que l’adoption du statut de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin
(loi organique du 23 février 2007, promulguée plus de 3 ans après la votation du 7 décembre 2003) a
bien failli ne jamais intervenir, au
motif – évidemment fallacieux – que l’on ne trouvait pas le temps pour le faire
voter avant la fin de la Législature 2002-2007 !
c.
Ainsi,
l’obligation de recueillir le consentement des électeurs ne s’applique pas aux adaptations du droit
national dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ;
d.
Et, surtout,
dans les COM de l’article 74, aucune modification du statut – et notamment sur
les compétences respectives de l’État et de la COM ou sur la variation de
l’intensité du régime de spécialité législative – l’intervention
obligatoire des électeurs est exclue : seul le Président de la République
peut décider d’organiser une telle votation - et encore n’y est-il pas tenu, le
vote électeurs n’ayant qu’une portée
consultative et non décisionnelle.
e. On touche là l’un des problèmes – anciens
– de la conception ultra-représentative
de la démocratie française et de la réticence des élus à admettre que les
électeurs, qui sont jugés suffisamment doués de discernement pour élire des
équipes au programme multisectoriel plus ou moins élaboré, et plus ou moins
réalisable, voire mais qui sont – ces électeurs - en revanche jugés totalement
inaptes pour se prononcer sur une question ponctuelle. Quant à l’idée qu’une
fraction des électeurs puisse organiser un référendum sur un texte déjà adopté
par les élus, elle est généralement jugée très sévèrement par ces derniers –
et par les universitaires en général, tant la méconnaissance en France des
expériences étrangères sur ce point conduit facilement à la caricature et aux
préjugés : ces procédures démocratiques ne seraient pas républicaines, elles seraient d’essence démagogique, voire populiste,
et vouées seulement à ces démocrates incultes que sont les Suisses, les
Américains, les Italiens, les Baltes, les Slovènes, et autres peuples (de plus en plus nombreux,
soit dit en passant) qui n’ont pas atteint le niveau de la démocratie française,
forcément indépassable et exemplaire, de ce qui peut être pourtant regardé,
très objectivement, comme une dérive vers la concentration et la confiscation
du pouvoir décisionnel par une aristocratie élective, les représentants de la Nation souveraine s’érigeant en représentants
souverains de la Nation…
f.
Or,
il est certain que l’absence de
mécanismes référendaires d’initiative minoritaire, et notamment
d’initiative populaire, comme il en existe pourtant dans de nombreux systèmes
constitutionnels où ils fonctionnent
parfaitement – je pense aux cantons suisses, d’une population semblable à
certaines de nos collectivités ultra-marines - pèse lourd dans les perspectives
d’évolution. Dès lors, en effet, que les
électeurs ne peuvent plus – dans le cadre de l’article 74 – exercer le moindre
choix sur le statut de leur collectivité une fois le principe même du passage
vers l’article 74 admis. C’est sans doute – avec d’autres facteurs – l’un des obstacles
les plus dirimants à une évolution « autonomique » des collectivités
régies par l’article 73, alors même que l’article 74, on le sait bien, ne
mérite « ni l’excès d’honneur, ni l’indignité » qu’on lui
témoigne…
*
*
*
II.
Les enseignements du droit comparé en termes de solutions souples et évolutives, protectrices des libertés locales.
Ayant évoqué
les insuffisances du cadre constitutionnel actuel, j’ai indiqué, en creux, ce
que l’on y pourrait trouver dans le cadre d’une réforme constitutionnelle.
Il se trouve
que le droit comparé nous offre des pistes très intéressantes sur un certain
nombre de points :
-
1/ la
souplesse et la spécificité du cadre
constitutionnel ;
-
2/ une forme de « pouvoir constituant » sub-national avec l’adoption du statut particulier de
la collectivité autonome à l’initiative de ses électeurs ou de son assemblée,
et/ou avec l’accord des mêmes (électeurs, assemblée), le cas échéant par la
voie d’un processus de décision conjointe de son assemblée délibérante et du
Parlement national ;
-
3/ la
participation effective aux compétences
normatives de l’État, y compris dans le domaine de l’application du droit
européen et du droit conventionnel (ie
issu des traités internationaux) ;
-
4/ des
garanties constitutionnelles – et
notamment juridictionnelles (par la saisine du juge constitutionnel) de
leur existence, de leur compétences, etc.
*
2.1. Un cadre constitutionnel
spécifique :
L’idée d’une constitutionnalisation très précise des
statuts d’autonomie peut aller très loin : ainsi, le statut des cinq
régions italiennes un statut spécial est-il déterminé par des lois
constitutionnelles spécifiques pour
chacune de ces régions.
Le statut constitutionnel des trois pays des Antilles
irlandaises est encore plus original dans la structure mise en place : en effet, le « Statut du royaume » (Status van het koninkrijk) du 28 octobre 1954, qui est un texte distinct de la Constitution
néerlandaise elle-même (Grondwet),
laquelle ne régit que la partie européenne – l’État des Pays-Bas - ainsi que les trois iles antillaises de Bonaire,
Saint-Eustache et Saint-Thomas qui sont devenues en 2010 des communes
d’Outre-mer dont le statut n’est pas sans rappeler celui de nos collectivités
de l’article 73) mais qui en possède la même valeur, organise les relations
entre quatre entités : le Royaume et les trois pays d’Outre-mer ; ce statut possède la particularité de pouvoir
n’être modifié qu’avec l’accord conjoint des parlements des trois pays autonomes
et du Parlement du Royaume[9].
On constate,
ainsi, que le statut d’un pays autonome peut se trouver hors du texte formel de
la Constitution nationale, sans pour autant impliquer une quelconque
indépendance en droit international.
Dans le texte
initial de la Constitution de 1958, les dispositions relatives à la Communauté,
incluses dans un titre particulier de la Constitution, comprenaient les
articles 77 à 87 ; ces dispositions pouvaient être modifiées par une
procédure spéciale de révision constitutionnelle – l’article 85 – qui faisait
intervenir le Parlement et le Sénat de la Communauté, composé de représentants
des États membres.
De manière
générale, on constate que les dispositions constitutionnelles italiennes, espagnoles, portugaises et
néerlandaises qui régissent l’autonomie des entités à statut spécial sont
particulièrement détaillées :
-
15
articles en Espagne, 9 au Portugal –
étant entendu que les « articles » des Constitutions espagnole
et portugaise sont souvent beaucoup plus longs que chez nous : l’article
227 de la Constitution portugaise consacré aux compétences des régions autonomes
compte une trentaine d’alinéas ; l’article 149 espagnol ayant le même
objet en compte 34… ;
-
60
au Pays-Bas ;
-
la
loi constitutionnelle italienne portant statut du Val d’Aoste comporte à elle seule
51 articles, et celle portant statut de la Sicile une quarantaine…
Il est certain
que, plus le cadre constitutionnel est détaillé, plus l’autonomie des entités à
statut spécial est protégé contre les incursions des institutions nationales,
tandis qu’un texte constitutionnel trop elliptique donne au juge constitutionnel
une marge de manœuvre peut-être excessive, qui bénéficie rarement aux
collectivités décentralisées…
*
2.2. Une forme de « pouvoir constituant/instituant »
sub-national.
C’est là l’un
des composants de la notion d’autonomie : l’entité autonome détermine – au
moins pour partie - sa propre organisation institutionnelle, son propre régime
législatif, ses propres compétences. Elle dispose donc d’un
« statut » qui n’est pas seulement l’œuvre du Parlement national mais
qui est élaboré avec son accord ou sur sa proposition.
Différentes
procédures sont envisageables, comme nous le montrent les exemples espagnols, portugais
ou néerlandais :
-
déclenchement du processus autonomique au
niveau territorial, sans
que les autorités nationales puissent s’y opposer en opportunité – sous réserve
évidemment d’un contrôle de constitutionnalité et de légalité ;
-
pourvoir exclusif d’initiative des
autorités autonomes pour
l’adoption ou la modification statutaire (ce qui entraine le cas échéant une
limitation du droit d’amendement du Parlement sur la loi statutaire ;
-
pouvoir de co-décision partagé entre le Parlement national et
l’assemblée autonome pour l’adoption et la modification du statut ;
-
participation des autorités autonomes aux
délibérations des institutions nationales (Parlement – séances plénières ou commissions, Conseil
d’État) ;
-
obligation
d’un référendum statutaire pour
approuver le projet.
*
2.3. La participation
effective aux compétences normatives de l’État, y compris dans le domaine
de l’application du droit européen et du droit conventionnel (ie issu des traités
internationaux) est assurée dans un certain nombre de systèmes
constitutionnels étrangers.
Ainsi, les pays
autonomes antillais du Royaume des Pays-Bas disposent-ils d’un droit de véto
sur l’entrée en vigueur de certaines lois nationales sur leur territoire, et
sur la conclusion ou la dénonciation des engagements internationaux qui y sont
applicables.
De même, dans
les systèmes belge ou allemand, les autorités nationales sont tenues de prendre
en compte la volonté des entités fédérées dans l’élaboration de la position
nationale à tenir dans les négociations au sein de l’Union européenne.
2.4. Les garanties constitutionnelles – et notamment
juridictionnelles (par la saisine du juge constitutionnel) de l’existence
des entités autonomes, de leur compétences, etc. sont évidemment d’autant plus
effectives que les textes constitutionnels sont précis. On l’a déjà dit. Dans
la totalité des États « autonomiques », la saisine du juge constitutionnel
est largement ouverte aux entités autonomes, qui disposent ainsi des voies de droit nécessaires pour faire
assurer le respect de leur statut, conformément d’ailleurs à l’article 11 de la
Charte européenne de l’autonomie locale[10].
*
* *
III. QUELLES
ORIENTATIONS, QUEL CONTENU, POUR LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE ?
Deux options
sont envisageables, selon la démarche politique que l’on suite suivre ;
elles sont parfaitement cumulables, et ne nécessiteraient d’ailleurs que le
dépôt de seulement deux amendements (certes, d’un « volume » inégal)
au projet de loi constitutionnelle.
- l’hypothèse
de compléments à l’article 73,
qui étendrait les garanties dont disposent les « collectivités
uniques » (Guyane, Martinique et Mayotte) en « blindant » leur
statut et leurs compétences et en leur ouvrant un champ d’intervention
permanent dans le domaine législatif et réglementaire, limité à une ou deux
matières qui pourraient être admises sans problèmes politiques majeurs
(environnement et ressources naturelles, notamment) ;
- l’hypothèse
de la création de la catégorie des « pays d’Outre-mer » (P.OM.) dotés
d’une large autonomie à définir ultérieurement, dans le cadre d’un Statut-cadre
des pays d’Outre-mer, qui serait annexé à la Constitution : toutes les collectivités ultra-marines
seraient éligibles à ce statut entièrement nouveau, sous réserve de l’accord de
leurs électeurs.
->
Je vais maintenant détailler ces propositions.
3.1. L’hypothèse de substantiels compléments à
l’article 73.
On se situe
donc résolument ici dans la perspective d’un renforcement de l’article 73 qui
n’en dénaturerait pas l’esprit, et notamment pas le principe d’identité
législative auquel, semble-t-il, la population accorde une importance politique
certaine (du moins l’a-t-elle montré en 2010, et c’est pour le moment le seul
indicateur fiable de la volonté démocratiquement exprimée des électeurs de la
Guyane.
On appliquerait
ce complément aux collectivités qui sont déjà « unique» sur leur
territoire, c’est à dire aux collectivités qui exercent déjà les compétences
départementales et régionales : il n’y a en effet aucune espèce d’intérêt
à conforter et à complexifier encore le statut à bien des égards ubuesque, des
régions monodépartementales encore existantes (Guadeloupe, La Réunion). Seules
seraient donc ici concernées la Guyane, Mayotte et la Martinique.
J’examinerai
trois points :
- Le « blindage » par la loi
organique des compétences et du régime institutionnel de la collectivité
unique ;
- l’octroi à la collectivité d’un pouvoir
normatif permanent dans quelques matières déterminantes pour le développement
local.
- l’institution de garanties constitutionnelles
nouvelles, notamment démocratiques et juridictionnelles.
A. Le « blindage » des
compétences et du régime institutionnel.
L’idée est ici
d’importer au profit de ces collectivités les garanties qui existent déjà dans
l’article 74 : une loi organique
– et non plus une loi ordinaire – fixerait le statut particulier de la la
collectivité unique , qui est d’ailleurs des collectivités à statut
particulier au sens de l’article 72 (comme la Corse). Ce réhaussement du statut
dans la hiérarchie des normes renforcerait sa protection ; il ne serait
plus possible de modifier le régime existant des compétences, notamment, par la
loi ordinaire. La collectivité serait ainsi assurée d’une forme nouvelle de
stabilité fonctionnelle, qui la préserverait de l’application des lois
ordinaires de réforme des collectivités locales, rarement adaptées aux
spécificités de l’Outre-mer. Le domaine de la loi organique statutaire
s’étendrait aux ressources de la collectivité et donc au régime de ses
dotations.
Il n’y a là
rien de profondément révolutionnaire ni d’infaisable techniquement :
l’article 74 le démontre. Il faudra simplement bien estimer certaines
difficultés techniques que l’article 74 lui-même a révélées ; le
complément de l’article 73 serait d’ailleurs l’occasion de préciser et de
compléter l’article 74 en ce qu’il a de lacunaire.
B. L’octroi d’un pouvoir normatif
permanent dans quelques matières déterminantes pour le développement local.
On estime
généralement que les « domiens » sont majoritairement attachés au
principe d’identité législative auquel ils attribuent, à tort ou à raison, le
mérite de les préserver de « dérives autonomistes » (je place là des
guillemets) qui pourraient conduire, dans l’imaginaire collectif, à la
disparition du régime de droit commun de protection sociale, de droit du
travail etc.
C’est la raison
communément admise, semble-t-il - mais je
m’exprime là sous réserve de l’appréciation de plus fins connaisseurs que moi
de la vie politique locale - du rejet massif (70 et 78 % des suffrages
exprimés, respectivement) par les électeurs de Guyane et de Martinique du
statut de l’article 74 en janvier 2010. Quant à Mayotte, l’idée même de
l’autonomie, assimilée à la période honnie durant laquelle l’île fut soumise à
la domination des Comores autonomes (1961-1974) y est regardée comme une
abomination que nul ne saurait sérieusement proposer sans immédiatement se suicider
sur le plan politique.
Si l’on prend
acte ce qui semble une réalité politique bien établie, et sous réserve
évidemment que de nouvelles consultations populaires n’effacent pas les
précédentes, on peut envisager, tout en préservant le « noyau dur »
de l’identité législative – pour simplifier, les branches du droit qui
affectent directement le statut des personnes, les droits sociaux, etc.) –
envisager de transférer de manière permanente aux collectivités le pouvoir
d’intervenir sous forme réglementaire dans le domaine de la loi et du décret,
et donc au lieu et place du Parlement et du Gouvernement.
Cette
habilitation permanente pourrait ne porter que sur quelques secteurs du droit, clairement identifiés mais
largement entendus : pour la Guyane, on songe évidemment à
l’environnement, aux ressources naturelles (biologiques et géologiques), à
l’énergie. On verrait ainsi la Guyane dotées d’une partie des compétences des
collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
Deux limites évidentes
à ce transfert du pouvoir normatif doivent être évoqués :
- d’une part, cela va de soi, dès lors que
la Guyane demeurerait une RUP (il est inutile d’agiter des craintes absolument
sans aucun fondement sur ce point – cf. le statut des Canaries, des Açores ou
de Madère), il lui appartiendrait, dans
son domaine de compétences normatives, de transposer et de mettre en œuvre le
droit de l’Union européenne, ce qui n’est pas une mince affaire… À défaut,
l’État devrait pouvoir se substituer aux autorités territoriales défaillantes,
sous le contrôle du juge ;
- D’autre part, cela va de soi également, ce pouvoir normatif s’exercerait dans les
limites de la Constitution et des engagements internationaux, notamment
pour ce qui concerne le respect des
droits fondamentaux et des libertés publiques et individuelles.
Il me semble
qu’un tel transfert – partiel, bien délimité, mais néanmoins substantiel - de
compétences normatives ne heurterait pas le sentiment populaire majoritaire…
surtout s’il était accompagné de garanties démocratiques nouvelles.
C. L’institution de garanties
constitutionnelles nouvelles.
Toujours dans
le cadre de l’article 73 complété, il faudrait songer à poser des principes que
la loi organique viendrait mettre en œuvre, en s’inspirant des exemples
étrangers :
1° la garantie de
l’association à l’exercice des compétences normatives de l’État : la
possibilité pour la collectivité d’être
mieux associée à la détermination des normes étatiques applicables sur son
territoire (accès direct au Parlement, droit de véto sur certains textes, dont
les traités, obligation de veiller aux intérêts particuliers des collectivités
dans les négociations européennes, etc.)
2° la garantie démocratique :
pour les électeurs qu’ils pourraient se saisir, par la voie de l’initiative
populaire minoritaire, des textes adoptés dans le cadre des nouveaux pouvoirs
normatifs de la collectivité, pour les approuver ou les improuver ;
3° la garantie
juridictionnelle : un accès direct de la collectivité au juge constitutionnel dans le
but de la défense de son statut et de ses compétences.
Ces trois types
de garanties pourraient évidemment être étendues aux COM de l’article 74.
Voici donc ce
que pourrait être l’article 73 complété, dans le sens d’une
« autonomie » proche de celle de l’article 74 sous bien des aspects,
mais qui garantirait l’essentiel de l’identité législative et le maintien d’un
socle incompressible de droit commun en Guyane, spécialement en matière de
droits individuels et collectifs largement entendu.
*
3.2. L’hypothèse de la création de la catégorie des
« pays d’Outre-mer » (P.OM.) dotés d’une large autonomie à définir
ultérieurement, dans le cadre d’un Statut-cadre des pays d’Outre-mer, qui
serait annexé à la Constitution.
Avec un tel
statut, que je vais vous détailler, on sort évidemment du cadre de 2003 en
innovant considérablement mais, vous l’allez voir, dans le strict respect de la
volonté des populations intéressées, qui seront toujours appelées, le moment
venu, à se prononcer sur leur loi statutaire.
A.
Le statut-cadre des « pays d’outre-mer » :
Je
retiens pour le moment cette terminologie de pays d’Outre-mer pour bien nous démarquer de l’existant. Elle
présente l’avantage, outre d’être nouvelle en droit constitutionnel français,
de figurer déjà dans le droit de l’Union européenne – pour les
« PTOM » - et elle caractérise assez bien une entité non souveraine
qui est beaucoup plus qu’une collectivité territoriale dotée d’attributions
administratives, sans utiliser le terme « État (autonome) » propre à
certains systèmes fédéraux (mais aussi à la Communauté de 1958. Le terme est
assez présent dans le droit comparé (cf. les Lander allemands ou autrichien ; le terme de Land existe aussi en néerlandais ;
les Portugais utilisent les termes de régions
autonomes, les Espagnols ceux de communautés
autonomes, les Canadiens ont des provinces
et des territoires, etc.).
1) Le Statut-cadre des pays d’Outre-mer comporterait tout ce qui,
actuellement, manque dans notre système constitutionnel pour garantir une
« autonomie » au sens commun que possède ce concept en droit
constitutionnel comparé.
J’en ai déjà
parlé plusieurs fois, et je n’y reviens que brièvement : il est certain
que les garanties nouvelles accordées aux entités autonomes nécessitent un
texte constitutionnel détaillé, tant il faudrait déroger, de manière aussi
précise que possible, à un état du droit qui reste profondément jacobin,
surtout quand il s’agit de toucher à l’exercice des compétences extérieures et
européennes de l’État ou aux lois dites « de souveraineté ». Les innovations
que nous suggérons (droit de véto sur certains traités, participation directe
des entités autonomes au processus législatif national, extension de la saisine
du Conseil constitutionnel, etc) susciteront suffisamment de réticences
pour qu’il soit utile d’en préciser la portée et ce, toujours exprimée autant
que possible sous la forme, souple, de
principes, de droits et de libertés plus que de dispositions excessivement
détaillées.
2) Le statut cadre mentionnerait de manière
aussi précise que possible les compétences que l’État conserverait en propre –
mais sans préjucide d’une forme de « co-décision » ou de consultation
avec les entités fédérées dans certains cas :
- Nationalité et état des personnes,
- défense,
- politique étrangère,
- sauvegarde des libertés publiques,
organisation de la justice, sécurité intérieure,
- monnaie, droit bancaire, Trésor, etc.
3) Le Statut-cadre permettrait une définition adaptée, souple
et évolutive de chacun des statuts particuliers des pays autonomes : la
répartition des compétences, le système institutionnel pourraient varier
sensiblement d’un pays à l’autre ; en théorie, on pourrait concevoir qu’un
pays d’Outre-mer conserve la substance du statut de l’article 73, avec des
garanties en plus ! (que j’évoquerai tout à l’heure)
4) Le Statut-cadre n’ayant aucune vocation à devenir une
antichambre de l’indépendance, il garantirait évidemment l’unité de nationalité
et de citoyenneté ainsi que des garanties uniformes d’exercice des libertés
publiques ; il pourrait aussi – pour régler définitivement la question,
prévoir dans quelles conditions l’accès à l’indépendance est possible… J’ai
tendance à penser depuis longtemps, mais je peux me tromper, que c‘est en
banalisant cette question, et en donnant aux intéressés la possibilité de s’en
saisir eux-mêmes, que l’on évitera
qu’elle soit un jour posée.
Bref, le Statut-cadre
ne doit constituer en rien un moyen de pousser quiconque dans une direction
qu’il ne souhaite pas. C’est pourquoi la « déclinaison » du statut
cadre dans chacun des statuts particuliers ne sera possible qu’avec l’accord
des électeurs et de l’assemblée délibérante de l’entité autonome.
B.
LA DÉCLINAISON DU STATUT-CADRE DES
« PAYS D’OUTRE-MER » : UN STATUT PARTICULIER, LIBREMENT ADOPTÉ.
1) S’il n’est pas question d’instituer un
« libre-service » constitutionnel qui donnerait à chaque entité une
liberté absolue de s’organiser comme elle l’entend – il faut quand même
respecter réalité de l’’appartenance à l’ensemble national, les devoirs qui en
découlent, et les principes constitutionnels y afférents, il est toutefois
possible de conférer à chaque pays
d’Outre-mer le droit de co-décider, avec les autorités nationales – et
principalement le Parlement – le contenu de son statut particulier :
régime législatif, partage des compétences, organisation de ses institutions,
etc.
Cette
co-décision, cette « double-clef » statutaire constituera une
profonde innovation dans notre système constitutionnel, où c’est le Parlement
qui en principe est le maître de l’organisation des entités territoriales de la
République, de la fixation de leurs compétences et de leurs ressources
(l’article 34 de la Constitution définit d’ailleurs en ces termes le domaine
législatif afférent).
On peut donc
imaginer que la loi organique statutaire soit élaborée selon la procédure
suivante, inspirée des exemples espagnols et portugais :
- élaboration du projet par l’assemblée
délibérante ;
- procédure de « navette » entre
cette assemblée, le Gouvernement et les commissions parlementaires en
veude l’adoption d’un texte consensuel;
- soumission du projet définitif au Conseil
constitutionnel ;
- approbation
par les électeurs ;
- ratification définitive par l’Assemblée
nationale et le Sénat et promulgation par le Président de la République.
Pour être absolument certain que les autorités nationales n’entravent pas le
processus par leur inertie, il conviendra à chaque étape de prévoir qu’en l’absence de décision de leur part
dans un délai déterminé, le projet local sera considéré comme adopté.
2) dans un tel processus, l’approbation par
les électeurs est évidemment la condition sine
qua non de l’entrée en vigueur effective du statut d’autonomie ; à la
différence de l’état actuel du droit, les électeurs ne se prononcent pas sur un
simple principe : ils sont appelés
à approuver un statut d’autonomie complètement rédigé (étant entendu que
certaines questions pourront faire l’objet de votes séparés, comme pour la
procédure de révision des Constitutions des cantons suisses). Ils peuvent donc
apprécier pleinement la portée de leur choix. C’est là une avancée démocratique
décisive. Les auteurs du statut du pays devront donc veiller à apprécier, eux
aussi, la portée de leur proposition de statut.
Bien entendu, les modifications ultérieures
du statut obéiraient au même processus, au moins pour ses aspects les plus
importants (régime législatif et compétences), étant entendu que :
- certaines modifications pourraient entrer
en vigueur sans référendum si, dans un certain délai, une minorité des
électeurs n’a pas demandé l’organisation d’un tel scrutin ;
- le Gouvernement et le Parlement pouvant
toutefois en appeler directement aux électeurs en cas de blocage de
l’assemblée.
3) en l’absence de l’adoption du statut
particulier de chaque pays d’Outre-mer, le statut d’autonomie demeurerait à
l’état virtuel.
Poser ce double principe de l’exigence
d’une approbation populaire et, dans l’attente, du maintien du statut en
vigueur avant la révision permet de rendre virtuellement « éligible »
au statut de pays d’Outre-mer toutes les collectivités ultra-marines :
- les COM de l’article 74, d’abord, étant
entendu que, pour elles, le passage au statut de pays d’Outre-mer n’aurait que
des conséquences de pure forme et pourrait donc découler de la loi constitutionnelle
elle-même ; il suffirait ensuite de compléter, si nécessaire, les statuts particuliers
existants pour les mettre en harmonie avec le statut-cadre, ce qui
constituerait une simple formalité, sans nécessité d’un référendum si l’on ne
touche pas aux aspects essentiels du statut.
- pour les collectivités régies par
l’article 73, en revanche, on ouvrirait certes la porte vers une possible autonomie,
mais avec toutes les garanties que j’ai exposées. Cette question pourrait ainsi
être banalisée, les électeurs étant
certains de toujours avoir le dernier mot.
C. L’INSERTION D U STATUT-CADRE DES PAYS D’OUTRE-MER DANS LA
CONSTITUTION :
J’ai privilégié
une approche globale, susceptible d’intéresser l’ensemble de l’Outre-mer,
au-delà du statut de la seule Guyane : cette voie me semble préférable à
celle de dispositions particulières à la Guyane, qu’il serait difficile de
faire adopter par le Parlement (cf. la question de la Corse) ; en outre,
l’idée que la Constitution soit un peu vendue « par appartements »
n’est pas particulièrement séduisante, la reproduction du statut dérogatoire de
la Nouvelle-Calédonie, et de celui – avorté – d’un statut identique pour la
Polynésie française n’étant pas nécessairement
la meilleure voie à suivre.
Dans la mesure
où un tel statut-cadre, à vocation globale, doit être complet, précis et
relativement détaillé, il devrait
nécessiter l’insertion dans la Constitution d’une quinzaine d’article, au moins une quinzaine d’articles… Or la place manque de
plus en plus dans la Constitution, même si les articles 78 à 87 sont
actuellement vacants… il est donc préférable d’annexer le futur Statut-cadre à
la Constitution, sous la forme d’un texte qui serait évidemment doté de la même
valeur : c’est ce qui a été fait pour l’Accord de Nouméa, par la loi
constitutionnelle du 20 juillet 1998, ou encore pour la Charte de
l’environnement de 2004 (loi constitutionnelle du 1er mars 2005).
Une disposition
insérée dans le corps même de la Constitution renverra au statut-cadre et lui
donnera ainsi sa pleine valeur constitutionnelle : elle pourrait être
ajoutée à l’article 72-4, créé en 2003 et lui-même consacré aux évolutions
statutaires[11].
Pour éviter une
excessive rigidification, le Statut-cadre des pays d’Outre-mer pourrait être
révisé – au moins sur des points mineurs - comme le Statut du Royaume
néerlandais, par accord entre le Parlement en les pays d’Outre-mer (tout comme,
sous le régime de la défunté Communauté, avait été prévue à l’article 85
initial de la Constitution une procédure de révision constitutionnel
dérogatoire et simplifiée consacrée à la modification de ses règles de
fonctionnement[12]).
Conclusion :
Les évolutions
que je viens de proposer sont complémentaires, et nullement exclusives ;
elles sont raisonnables, et n’obligent dans un premier temps à rien, puisque
leur adoption ouvrirait seulement des voies nouvelles, sans forcer quiconque à
les emprunter.
Elles
s’inscrivent dans la lignée des réflexions antérieures, d’ailleurs commencées
en 1946, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui a pleine force
constitutionnelle, fixant toujours l’objectif de conduire les peuples
d’Outre-mer à « la liberté de
s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres
affaires ».
La révision de
2003 a amorcé une évolution qu’il est temps d’amplifier, en insérant dans notre
Constitution les éléments de souplesse et d’adaptation qui lui manquent encore,
avec les nécessaires et indépassables garanties démocratiques qui doivent les
accompagner. Rien ne se fera sans le consentement des populations concernées.
Mais rien ne se fera non plus sans l’accord du Parlement constituant, et aussi
du Gouvernement et du Président de la République qu’il convient donc de
convaincre de la justesse de cette démarche.
Cela justifie que les textes qui seront proposés soient rédigés de telle
manière qu’ils soient pleinement opérationnels.
Stéphane Diémert
Annexe :
Proposition
d’amendement
au
projet de loi constitutionnelle.
Article additionnel.
I. L’article 72-3 est complété par un nouvel alinéa
ainsi rédigé :
« Les
collectivités mentionnées au deuxième alinéa peuvent accéder au statut de pays
d’Outre-mer au sein de la République, dans les conditions prévues par le
statut-cadre des pays d’Outre-mer, partie intégrante de la présente
Constitution »
II. Le
statut-cadre des pays d’Outre-mer est ainsi rédigé :
« Statut cadre des pays d’Outre-mer.
« I. - Les pays d’Outre-mer font partie
intégrante de la République française et sont soumis à la Constitution.
« Dans
les pays d’Outre-mer, les citoyens français ont tous les mêmes droits et les
mêmes devoirs. Ils y jouissent des
droits et libertés garantis à chacun par la Constitution et par les engagements
internationaux de la France.
« Les électeurs
des pays d’Outre-mer participent à l’élection du Président de la République et
aux référendums. Ils élisent des députés à l’Assemblée nationale.
« Les
pays d’Outre-mer sont représentés au Sénat.
« II. - Les pays
d’Outre-mer se gouvernent librement et gèrent démocratiquement leurs propres
affaires, dans le respect des libertés et droits fondamentaux garantis par la
Constitution et les engagements internationaux de la France. Ils peuvent
exercer leur propre pouvoir législatif et réglementaire.
« III. -
Dans les conditions prévues par une loi organique, le statut de
chaque pays d’Outre-mer est adopté
conjointement par le Parlement et par l’assemblée délibérante du pays, puis
soumis au Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur sa conformité à la
Constitution
« Il ne
peut entrer en vigueur qu’après son approbation, par la voie du référendum, par
les électeurs du pays.
« Ses
modifications ultérieures, adoptées dans les conditions prévues au premier
alinéa ne peuvent entrer en vigueur sans le consentement des électeurs du pays,
le cas échéant selon la procédure du référendum d’initiative populaire. Une
modification du statut que l’assemblée délibérante n’a pas adoptée peut
néanmoins être à ces électeurs par le Président de la République sur la
proposition du Gouvernement, de l’Assemblée nationale, du Sénat ou d’une
fraction des électeurs.
« IV. Le statut de
chaque pays d’Outre-mer, qui a la valeur d’une loi organique, détermine :
« 1° la
répartition des compétences respectives
de l’État et du pays, conformément au V ;
« 2° les
conditions dans lesquelles les dispositions législatives et règlementaires
intervenant dans le domaine de compétence de l’État y sont applicables, et les
procédures selon lesquelles elles sont adoptées ou y sont étendues, le cas
échéant avec l’accord des institutions du pays ;
« 3° les conditions dans
lesquelles les engagements internationaux de la France y sont applicables,
et les modalités selon lesquelles les institutions du pays sont, selon le cas,
informées, consultées ou associées quant à leur négociation, puis appelées à
approuver l’entrée en vigueur sur son territoire de ceux d’entre eux qui
interviennent dans le domaine de ses compétences ;
« 4 ° les conditions dans lesquelles ses
institutions sont consultées, avant sur adoption, sur les dispositions
législatives et règlementaires adoptées
par les autorités compétentes de l’État et comportant des dispositions particulières
au pays ;
« 5° les conditions dans lesquelles le
pays est consulté, informé ou associé, selon le cas, aux décisions de politique étrangère le
concernant, peut être membre d’une organisation internationale, disposer d’une
représentation auprès d’États ou d’organisations internationales, négocier des
accords avec ceux-ci, dans son domaine de compétence et, sans préjudice
de l’accord des autorités compétentes de la République, conclure ces
accords ;
« 6° les conditions dans lesquelles
certaines des compétences de l’État peuvent être déléguées au pays pour être
exercées sous son contrôle, ainsi que les conditions dans lesquelles l’État et
le pays peuvent exercer en commun certaines compétences ;
« 7° les règles et principes généraux
gouvernant la composition, l’organisation et le fonctionnement de ses
institutions du pays, qui comportent une assemblée délibérante et un organe
exécutif élus, ainsi que les modalités de mise en œuvre du droit de pétition et
du référendum local ;
« 8° les conditions dans lesquelles le
pays peut prendre des mesures justifiées par les nécessités locales en faveur
de sa population, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour
l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ;
« 9° les conditions dans lesquelles le
délégué du Gouvernement de la République dans le pays a la charge des intérêts
nationaux et du respect des lois ;
« 10° les modalités de l’exercice du
contrôle juridictionnel sur les actes des institutions du pays, et notamment
les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel se prononce sur la
constitutionnalité des actes de son assemblée délibérante intervenant dans le
domaine de la loi ;
« 11 ° les conditions dans lesquelles les
autorités de la République peuvent, en cas d'urgence et après mise en demeure
restée sans résultat, se substituer aux institutions du pays afin de prendre
les mesures qui s’imposent pour assurer la sécurité de la population et le
fonctionnement normal des services publics ou mettre fin à une violation grave
et manifeste des dispositions de la loi fondamentale relatives au
fonctionnement des institutions, lorsque ces dernières n'ont pas pris les
décisions qui leur incombent ; ces mesures peuvent être soumises à l’autorisation
ou à la ratification du Parlement ;
« 12° les modalités selon lesquelles la
solidarité nationale s’exerce à l’égard du pays notamment pour la mise en œuvre
des dixième à treizième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 ;
« 13° la garantie des ressources du pays,
dans le respect des dispositions de l’article 72-2 de la Constitution, et les
conditions de leur emploi dans le respect des principes de transparence et de
responsabilité prévus par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme
et du citoyen.
« V. - Dans chacun des pays d’Outre-mer,
les compétences de l’État comprennent notamment :
« 1° la nationalité ; les droits
civiques ; la sauvegarde des droits fondamentaux et des libertés publiques
et individuelles ; le contrôle des élections et des référendums ;
« 2° la défense ;
« 3° la politique étrangère, sans
préjudice des compétences du pays en matière de relations extérieures liées à
l’exercice de ses compétences propres ;
« 4° le contrôle de la justice ; le
droit pénal général ;
« 5° la sécurité intérieure et le
maintien de l’ordre, les prohibitions à l’importation et à l’exportation qui
relèvent de l’ordre public ;
« 6° le respect des obligations résultant
des engagements internationaux et de l’appartenance à l’Union européenne ;
« 7° la monnaie, le Trésor, crédit et les
changes.
« VI. - Les autorités compétentes de
l’État peuvent adopter des dispositions législatives ou réglementaires
particulières à chaque pays d’Outre-mer.
« Elles
veillent, dans la négociation des engagements internationaux de la France,
à préserver les compétences du pays et à
prendre en compte sa situation particulière.
« VII. - Le Conseil constitutionnel règle
les litiges survenus entre l’État et les pays d’Outre-mer dans l’application du présent statut-cadre ;
à cette fin, il peut notamment se
prononcer, par voie d’action ou par voie d’exception, sur la conformité des
lois promulguées aux dispositions du statut de chaque pays ; les questions de
répartition des compétences entre l’État et les pays d’Outre-mer peuvent lui
être renvoyées à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction.
« VIII.
- Une loi organique détermine les conditions dans lesquelles les
collectivités mentionnées au dernier alinéa de l’article 72-4 peuvent, sur
décision de leur assemblée délibérante et, le cas échéant, de leurs électeurs,
opter pour leur transformation en pays d’Outre-mer, ainsi que la procédure
selon laquelle est adopté et modifié le statut de chacun des pays d’Outre-mer
dans le respect des règles et principes énoncés aux III et IV du présent
statut-cadre.»
Exposé sommaire :
Le
présent article additionnel entend ouvrir de nouvelles perspectives d’évolution
à l’ensemble des collectivités d’Outre-mer, qu’elles soient régies par l’article
73 comme par l’article 74.
Il
est proposé, à cette fin, de créer la catégorie des pays d’Outre-mer, régie par
un statut-cadre, annexé à la Constitution et donc doté de la même valeur. Ce
statut-cadre serait ensuite décliné, le cas échéant, dans chacun des pays
d’Outre-mer, par un statut particulier qui, ayant valeur de loi organique, serait
adopté conjointement par le Parlement et par son assemblée délibérante sous le
contrôle du Conseil constitutionnel, puis soumis à l’approbation des électeurs
concernés.
À
la différence de l’état actuel du droit, fixé par les articles 72-4, 73 et 74,
chaque statut particulier, dans son intégralité ne pourra entrer en vigueur qu’avec
l’accord exprès des électeurs ; il ne pourra ensuite être modifié qu’avec cet
accord, qu’il soit explicite ou tacite (une procédure de référendum
d’initiative populaire est prévue à cet effet, de sorte que toute modification,
même mineure, du statut d’un pays d’Outre-mer, déjà adopté par l’assemblée
délibérante et par le Parlement, puisse toujours être soumis aux électeurs
intéressés si une fraction d’entre eux le demande).
Ce
nouveau statut vise à répondre aux difficultés résultant de l’excessive
rigidité des actuels articles 73 et
74 : en donnant toujours le dernier mot aux électeurs, notamment sur
le régime législatif de chacun des territoires et sur le transferts des
compétences de l’État, il empêche toute « dérive » qu’ils ne souhaiteraient pas. Par ailleurs, la nécessité de l’adoption
conjointe du statut par le Parlement et par l’assemblée délibérante locale interdit
toute évolution non souhaitée, soit par l’État, soit localement.
Cette
« double-clef » représente une garantie démocratique fondamentale, de
nature à lever les éventuelles objections vers une évolution différenciée de
chaque territoire, en amplifiant les garanties démocratiques inscrites dans la
Constitution avec la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Elle s’inspire
des procédures prévues par les constitutions espagnole et portugaise pour l’édiction
des dispositions statutaires respectives des communautés autonomes et des
régions autonomes.
Dans
le cadre constitutionnel en vigueur, en effet, les électeurs ne sont, le cas
échéant, consultés que sur un principe : celui du passage d’une catégorie
statutaire vers une autre, autrement dit du statut régi par l’article 73 vers celui régi par l’article
74, ou vice-versa.
Toutefois,
une fois qu’une collectivité est régie par l’article 74, ses électeurs et son
assemblée ne disposent plus d’aucun moyen de s’opposer à une évolution vers une
plus grande autonomie, même s’ils en rejettent les modalités. Il n’existe en
effet aucune procédure qui leur permette d’empêcher qu’entre en vigueur sur
leur territoire une modification statutaire décidée par le législateur
organique.
De même, dans le cas d’une collectivité qui
passerait du régime de l’article 74 vers celui de l’article 73, de profondes
évolutions du droit commun peuvent modifier la substance même du nouveau statut
dans des conditions telles que la volonté des électeurs exprimée à l’occasion
du changement de catégorie de la collectivité pourrait être regardée comme
méconnue.
En
proposant que toute modification statutaire soit susceptible d’être soumise aux
électeurs, on rend impossible que leur volonté soit méconnue. On oblige aussi les
partisans d’une évolution à présenter un projet complet et détaillé, et donc à
cesser de manier comme des slogans des concepts abstraits.
Le
dispositif ici proposé est purement facultatif ; il n’oblige nulle
collectivité à y adhérer ni même à se prononcer sur le principe d’une évolution ;
il n’oblige pas non plus les autorités compétentes de l’État à faire droit à
des demandes statutaires qui apparaîtraient déraisonnables ; il repose au
contraire sur la responsabilité de chacun des acteurs, tant nationaux que
locaux, dont l’œuvre commune sera toujours soumise aux électeurs.
Dans
ce cadre, toutes les formes d’évolution sont possibles, dès lors que les dispositions
du statut-cadre sont respectées : ce dernier fixe un « plafond »
à l’autonomie et ouvre néanmoins de larges opportunités d’évolution aux
collectivités qui le souhaiteraient ; il n’impose aucun « plancher » :
-
ainsi,
un pays d’Outre-mer pourrait-il être doté d’une autonomie normative très
développée – comme c’est le cas aujourd’hui pour la Polynésie française,
assortie d’un régime de spécialité législative étendue ;
-
à
l’inverse, un autre pourrait choisir un statut dans lequel les lois et
règlements nationaux continueraient de s’appliquer dans une large mesure, selon
que le curseur de l’identité ou de la spécialité législative varierait en
intensité : ainsi, les collectivités actuellement régies par l’article 73
pourraient continuer de bénéficier des garanties dont elles disposent dans le
cadre de leur actuel statut, par exemple en ce qui concerne le maintien de l’application
de la législation en matière de protection sociale.
En
revanche, chacun des statuts serait doté des garanties démocratiques que l’on a
décrites plus haut, qui le préserverait de modifications non souhaitées ; en
tout état de cause, l’organisation institutionnelle propre à chaque pays, et l’étendue
de l’association de ses institutions aux décisions nationales ne serait pas directement
liée à la substance même du droit qui y est applicable.
De
manière générale, les articles du statut-cadre des pays d’Outre-mer sont
rédigées de manière à poser des principes et à ouvrir des perspectives ;
leur rédaction évite toute précision excessive, et se limite à poser des bornes
maximales à l’autonomie. S’il ne pourra pas dépasser ces bornes, fixées par la
Constitution, le législateur organique demeure libre de ne pas les
atteindre ; ainsi, s’agissant en particulier de la délimitation des
compétences minimales de l’État, l’énumération du V du statut cadre, volontairement
réduite aux seuls compétences les plus fondamentales, ne peut avoir pour effet
de contraindre le législateur organique
La
présente proposition contribuera à une rénovation profonde et démocratique du
cadre constitutionnel de l’Outre-mer français : elle entend régler, pour
les prochaines décennies, les conditions d’une évolution statutaire
différenciée, adoptée aux spécificités de chaque territoire, en espérant mettre
fin à des débats qui deviendront sans objet dès lors que la décision
appartiendra, en toute circonstance, aux électeurs eux-mêmes.
Art. 1er. - […] /
La Polynésie française est, au sein de la
République, un territoire d'outre-mer doté d'un statut d'autonomie, qui exerce
librement et démocratiquement, par ses représentants élus, les compétences qui
lui sont dévolues par la présente loi. La République garantit l'autonomie de la
Polynésie française ; elle favorise l'évolution de cette autonomie, de manière
à conduire ce territoire d'outre-mer au développement économique, social et
culturel, dans le respect de ses intérêts propres, de ses spécificités géographiques
et de son identité.
[2]
On notera que le terme n’apparaît plus,
s’agissant de la Nouvelle-Calédonie, dans le cadre de son évolution statutaire
spécifique, amorcée par la loi référendaire du 6 novembre 1988 et la loi
constitutionnelle du 20 juillet 1998…
[3]
Loi n°84-820 du 6 sept. 1984
portant statut du territoire de la Polynésie française. – Art. 1er. / […] /
Le territoire de la Polynésie française constitue, conformément aux articles 72
et 74 de la Constitution, un territoire d'outre-mer doté de l'autonomie interne
dans le cadre de la République et dont l'organisation particulière et évolutive
est définie par la présente loi.
[4]
Loi n° 84-821 du 6 sept. 1984
portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie. – Art. 1er. / […] /
Le territoire de la Nouvelle-Calédonie […]. / Il
constitue, conformément aux articles 72 et 74 de la Constitution, un territoire
d'outre-mer doté de la personnalité juridique et de l'autonomie interne
[5] Const. italienne du 27 déc. 1947, art. 116. - Des formes et des conditions
particulières d'autonomie sont attribuées au Frioul-Vénétie Julienne, à la
Sardaigne, à la Sicile, au Trentin-Haut Adige/Südtirol et au Val d'Aoste, selon
les statuts spéciaux respectifs adoptés par loi constitutionnelle.
[6] Const. du 1er mars 2000. – Art. 120. - Statut
spécial de la province d'Åland. - La province d'Åland dispose de
l'autonomie, conformément aux dispositions spécifiques de la loi sur
l'autonomie d'Åland.
[7] 1. Considérant que la
compétence du Conseil constitutionnel est strictement délimitée par la
Constitution ; qu'elle n'est susceptible d'être précisée et complétée par voie
de loi organique que dans le respect des principes posés par le texte
constitutionnel ; que le Conseil constitutionnel ne saurait être appelé à se
prononcer dans d'autres cas que ceux qui sont expressément prévus par ces
textes ; / 2. Considérant que l'article 61 de la
Constitution donne au Conseil constitutionnel mission d'apprécier la conformité
à la Constitution des lois organiques et, lorsqu'elles lui sont déférées dans
les conditions fixées par cet article, des lois ordinaires ; que le Conseil
constitutionnel ne tient ni de l'article 61, ni de l'article 89, ni d'aucune
autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision
constitutionnelle ; / 3. Considérant qu'il résulte
de ce qui précède que le Conseil constitutionnel n'a pas compétence pour
statuer sur la demande susvisée, par laquelle les sénateurs requérants lui
défèrent, aux fins d'appréciation de sa conformité à la Constitution, la
révision de la Constitution relative à l'organisation décentralisée de la
République approuvée par le Congrès le 17 mars 2003,
[8] Constit. du 27 oct. 1946, art. 75. - Les statuts
respectifs des membres de la République et de l'Union française sont
susceptibles d'évolution. / Les modifications de statut et les passages d'une
catégorie à l'autre, dans le cadre fixé par l'article 60, ne peuvent résulter
que d'une loi votée par le Parlement, après consultation des assemblées
territoriales et de l'Assemblée de l'Union.
[9] Art. 55 du
Statut : 1. Les amendements au présent Statut sont effectués par loi
du Royaume. / 2. Un projet de révision adopté par les États généraux ne doit
pas être approuvé par le roi avant d'être accepté par Aruba, Curaçao et Sint
Maarten. Cette acceptation doit être donnée par une loi du pays. / Une
telle loi du pays n'est adoptée qu'après avoir été approuvée par les États lors
de deux lectures. Si le projet est adopté en première lecture par les deux
tiers des suffrages exprimés, il est censé être approuvé immédiatement. La
deuxième lecture a lieu un mois après l'adoption du projet en première
lecture. / 3. Si un projet visant à modifier le Statut est
incompatible avec la Constitution des Pays-Bas, le projet est traité comme un
projet de loi constitutionnelle de révision de la Constitution, à condition que
les deux chambres, lors de la deuxième lecture de la modification proposée,
l'adoptent à la majorité absolue des suffrages exprimés.
[10] Art. 11. - Les collectivités locales doivent
disposer d’un droit de recours juridictionnel afin d’assurer le libre exercice
de leurs compétences et le respect des principes d’autonomie locale qui sont
consacrés dans la Constitution ou la législation interne.
[11] Art. 72-4 de
la Constitution. - Aucun
changement, pour tout ou partie de l'une des collectivités mentionnées au
deuxième alinéa de l'article 72-3, de l'un vers l'autre des régimes prévus
par les articles 73 et 74, ne peut intervenir sans que le consentement des
électeurs de la collectivité ou de la partie de collectivité intéressée ait été
préalablement recueilli dans les conditions prévues à l'alinéa suivant. Ce
changement de régime est décidé par une loi organique. / Le Président de la
République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou
sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel,
peut décider de consulter les électeurs d'une collectivité territoriale située
outre-mer sur une question relative à son organisation, à ses compétences ou à
son régime législatif. Lorsque la consultation porte sur un changement prévu à
l'alinéa précédent et est organisée sur proposition du Gouvernement, celui-ci
fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat.
[12] Art. 85 de la
Constitution. - Par
dérogation à la procédure prévue à l’article 89 les dispositions du présent titre qui concernent le fonctionnement des
institutions communes sont révisées par des lois votées dans les mêmes termes
par le Parlement de la République et par le Sénat de la Communauté. / (Loi const. n° 60-525 du 4 juin 1960, I de
l’art. unique) « Les
dispositions du présent titre peuvent être également révisées par accords
conclus entre tous les États de la Communauté ; les dispositions
nouvelles sont mises en vigueur dans les conditions requises par la
constitution de chaque État. »
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