Rendre la parole au peuple par le recours plus fréquent au référendum ! (I) Garantir le respect de la volonté populaire.


Révision constitutionnelle : rendre la parole au peuple par le recours plus fréquent au référendum !  
((1) Garantir le respect de la volonté populaire.

Il y aurait beaucoup à reprocher au projet de loi constitutionnelle, enregistré le 9 mai 2018  sur le bureau de l’Assemblée nationale sous le n° 911, «  pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ». Mais on ne saurait trouver dans son titre, sur un point au moins, une quelconque contradiction entre l’objectif poursuivi et le dispositif envisagé à cette fin : il est en effet explicitement annoncé que la démocratie de la Vème République doit devenir « (encore) plus représentative ». Comme s’il ne suffisait pas, en effet, que les procédures de démocratie semi-directe, déjà chichement envisagées par les fondateurs du régime et à peine modifiées, à quatre reprises (en 1995, en 2003, en 2005 et en 2008), sous le faux prétexte d’en élargir champ et d’en faciliter la pratique, demeurent en un état d’archaïsme surprenant, le projet de révision affiche clairement, en creux, qu’il ne saurait être question de les améliorer. Et, en effet, le contenu du texte demeure obstinément taisant sur cette question.

Mieux encore – si l’on peut dire – le projet, en remplaçant le Conseil économique, social et environnemental par la « Chambre de la société civile »  crée un « machin » destiné à insuffler un semblant de démocratie participative : en dépit d’une dénomination à connotation gadgétoïde déjà datée et pour le moins ridicule, cette institution que l’article 69 nouveau du texte constitutionnel, tel qu’envisagé par le projet, charge « d’éclaire[r]  Gouvernement et le Parlement, après avoir organisé la consultation du public, sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux et sur les conséquences à long terme des décisions prises par les pouvoirs publics » pourra être saisie « par voie de pétition dans les conditions fixées par la loi organique ». Après examen de la pétition, elle fera « connaître au Gouvernement et au Parlement les suites qu’elle propose d’y donner » et la loi organique déterminera « les conditions dans lesquelles les assemblées parlementaires prennent en considération ces pétitions ».  Ces dispositions traduisent fidèlement, au demeurant, la pensée présidentielle, puisque Chef de l’État s’exprimait ainsi devant le Parlement réuni en Congrès, le 3 juillet 2017 : « Dans le même temps, je souhaite que le droit de pétition soit revu, afin que l’expression directe de nos concitoyens soit mieux prise en compte et que les propositions des Français puissent être présentées, dans un cadre défini et construit, à la représentation nationale. » On ne saurait donc, sur ce point, prendre le Président de la République en défaut : manifestement réservé sur les procédures de démocratie directe – du moins, si leur déclenchement lui échappe – il n’est guère porté à en améliorer l’efficacité ou même, simplement, la lisibilité et ne s’est d’ailleurs jamais engagé en ce sens. Ses propos, en matière de référendum, se sont limités à menacer le Parlement d’en appeler au Peuple contre lui, si la réforme institutionnelle qu’il propose venait à s’enliser. Inédite en la forme – jamais un Chef de l’État n’avait ainsi brandi aussi directement la menace référendaire devant le Parlement tout entier assemblé – cette attitude que d’aucun ont qualifié de bonapartiste aurait sans doute gagné à s’accompagner de propositions en faveur d’une pratique référendaire renouvellée.
Or, l’ersatz de droit de pétition que la future Chambre de la société civile est sensée contribuer à mettre en oeuvre, sera finalement encadré par un cénacle dont la légitimité reste à démontrer ; il ne constitue même pas un début de commencement d’apprentissage d’une forme fut-elle atténuée de démocratie semi-directe digne d’une vieille démocratie. Après les fake-news, le droit positif pourrait donc, si le projet de loi constitutionnelle venait à être adopté – ce qui n’est évidemment pas garanti, s’enrichir de procédures de fake democracy, tant le dispositif envisagé, dérisoire, semble relever davantage du bobard constitutionnel que de la véritable mise en œuvre de procédures permettant aux citoyens-électeurs de se saisir eux-mêmes de la question de l’adoption des normes constitutionnelles et législatives, voire conventionnelles,  qu’ils estiment d’une importance suffisante pour mériter leur soumission au référendum.  

On ne saurait, sur ce point aussi, s’étonner du maintien d’une conception ultra-représentativiste des nos institutions, bien digne du « monde d’hier » : on sait que les milieux politiques français, et plus généralement les « élites »  sont particulièrement hostiles à l’expression directe de la volonté des électeurs, et que la « tradition républicaine » est sans cesse invoquée dès lors qu’il s’agit d’introduire en France tout mécanisme référendaire digne de ce nom ; la démocratie semi-directe n’est bonne que pour les peuples encore en apprentissage de la démocratie, que sont – pour n’en citer que quelques-uns – les Italiens, les Suisses, les Américains (au niveau des États fédérés), les Portugais, les Slovènes, et quelques-autres. Que l’article 11 de la Constitution ne trouve son équivalent que dans la Constitution de Biélorussie et dans quelques autres des républiques ex-soviétiques d’Asie centrale ne semble pas troubler les partisans du « modèle français » en toutes choses. Or, en s’inspirant du génial Jean-François Revel - qui, moquant l’antienne sur le « rayonnement de la France » se demandait comment, à force qu’elle rayonne, le monde entier n’était pas déjà mort d’insolation – on peut s’inquiéter, en sens inverse, de la bien faible portée du rayonnement de notre droit référendaire… Sur ce plan-là, si le droit référendaire pouvait s’apparenter à un système solaire,  le modèle français – ou plutôt l’anti-modèle - serait plus proche du monde glacé de Pluton que de la face brulante de Mercure…

Les précédentes interventions du pouvoir constituant dans le domaine de la démocratie référendaire n’été qu’une suite de déception et de réformes en trompe-l’œil : après l’échec de la pitoyable manœuvre mitterrandienne de l’été 1984, à l’occasion de laquelle une modification de l’article 11 en vue d’inclure dans le domaine référendable les « garanties fondamentales des libertés publiques » n’a été avancée que pour désamorcer la crise née de la volonté d’étatiser l’école libre, trois lois constitutionnelles ont pu donner l’impression d’approfondir la démocratie semi-directe. Il n’en a pourtant rien été :

- la loi constitutionnelle du 4 août 1995 a, certes, allongé le domaine du référendum législatif aux « réformes relatives à la politique économique ou sociale ou de la nation et aux services publics qui y concourent » ; force est de constater que cette rédaction alambiquée est tellement restrictive qu’elle n’a jamais, à ce jour, conduit un Président de la République à l’utiliser…

- la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a constitutionnalisé le droit de pétition devant les assemblées délibérantes des collectivités territoriales et le référendum local ; mais le Parlement s’est empressé de poser de multiples barrières à leur exercice, afin de mieux empêcher toute évolution vers davantage de démocratie locale – mais qui s’en étonnera, tant les barons locaux n’envisagent pas le moins du monde de partager une infime parcelle de leur pouvoir ? Ainsi, le Sénat a-t-il obtenu que le « droit » de pétition se limite à la simple possibilité, pour les citoyens, de « demander » l’inscription d’une question à l’ordre du jour d’une assemblée locale, quand le projet de loi constitutionnelle, dans sa version initiale, proposait que les mêmes puissent « obtenir » cette inscription.  Par ailleurs, le référendum local est encadré de telle manière que seule l’assemblée délibérante d’une collectivité y puisse recourir, à l’exclusion de l’exécutif, d’une minorité d’élus et – horesco referens – d’une fraction des électeurs ;

-       la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a, certes, étendu le domaine référendaire à la politique « environnementale », mais elle a également restreint l’obligation posée à l’article 88-5 par la révision du 1er mars 20015, de soumettre aux électeurs les projets de loi autorisant la ratification d’une traité d’adhésion à l’Union européenne, en permettant au Parlement réuni en Congrès et statuant à la majorité des trois cinquièmes, de se substituer aux électeurs ; par ailleurs, elle a institué au sein de l’article 11 un référendum d’initiative minoritaire partagé dont il est à peu près certain qu’il ne fonctionnera jamais, eu égard au zèle créatif déployé par les parlementaires pour le rendre totalement impraticable (au point que même le Conseil constitutionnel a du ensuite, lorsqu’il fut saisi des textes d’application, neutraliser d’ultimes restrictions plus draconiennes encore que l’article 11 lui-même).
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La révision constitutionnelle engagée en 2018 par le président Macron ne transporte pas, à ce stade, l’opinion publique en des transes démocratiques caractérisées : manifestement conçu de manière technocratique, sans grand souci de même seulement paraître renforcer les droits des citoyens ou l’équilibre des pouvoirs – ce que tous les projets de révision présentés depuis 1973 ambitionnaient, au moins en apparence, de réaliser – le projet de loi constitutionnelle n° 911 affiche une étonnante morgue antidémocratique. Ce serait donc lui rendre grand service que de tenter de l’amender afin que, s’il devait un jour être soumis aux électeurs, ces derniers y trouvent au moins matière à en approuver quelques articles. Le développement des procédures référendaires peut y contribuer.

C’est à cette seule fin que nous nous efforcerons, par une série de billets publiés sur ce blog, de proposer, en déclinant l’objectif de « rendre la parole au Peuple », une série d’amendements qui seront présentés dans l’ordre suivant :
1. Garantir le respecter de la volonté des électeurs ;
2. Élargir le champ du référendum législatif et consultatif (domaine référendable ;  et titulaires de l’initiative référendaire) ;
3. Instaurer une véritable initiative populaire dans le domaine constitutionnel et législatif ;
4. Assouplir et démocratiser la procédure de révision constitutionnelle de l’article 89
5. Assouplir et démocratiser le régime des référendums locaux ;
6. instituer le référendum révocatoire au niveau des collectivités territoriales.

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*   *

I. Garantir le respecter de la volonté des électeurs exprimée lors des référendums.  


Si, en principe, le respect de la volonté des électeurs par les pouvoirs constitués devrait aller de soi dans un régime démocratique, et pourrait donc se passer d’un système de protection  juridique ad hoc, l’utilisation fréquente du référendum en matière législative, voire constitutionnelle pose nécessairement la question de la protection de la volonté directement exprimée par le corps électoral au fil du temps qui passe, au moins lorsque le recours au référendum est facultatif : une loi ou un amendement constitutionnel adoptés par les électeurs peuvent-ils éternellement demeurer immodifiables et inabrogeables par voie parlementaire, sauf recours à un nouveau référendum ? Faut-il instaurer un délai raisonnable au delà-duquel le Parlement se retrouve libre de modifier à sa guise la loi référendaire ? Peut-il le faire à la majorité simple, ou bien convient-il d’exiger qu’il y procède à une majorité qualifiée ? À l’inverse, dans le cas où le corps électoral a rejeté un texte à lui soumis par la voie d’un référendum facultatif, faut-il accorder à cette décision de rejet autorité juridique particulière pour empêcher que le même texte – ou un texte très proche – soit ultérieurement adopté par le Parlement ou, du moins, ne puisse l’être avant un certain délai ?

Le droit comparé offre des pistes de réflexion intéressantes ; ainsi, plusieurs Constitutions d’États fédérés composant les États –Unis comportent-elles des dispositions destinées à éviter que la Législature de l’État ne contourne directement ou indirectement la volonté des électeurs – et ce, dans un contexte de permanente suspicion envers les parlements fédérés, regardés, non sans quelque bonnes raisons, comme sensibles aux intérêts particuliers.

En France, la faiblesse relative de la pratique référendaire rend la question relativement théorique. Toutefois, dans trois occurrences au moins, le Parlement, à la demande de l’exécutif, a sciemment méconnu la volonté populaire, et le Conseil constitutionnel l’a admis, du moins dans le domaine législatif :

a) Ainsi, et alors même que la loi référendaire du 6 novembre 1962 comportait un système d’accès relativement libéral à la candidature à l’élection présidentielle, en n’exigeant qu’une centaine de « parrainages » d’élus, le législateur organique (loi organique n°76-528 du 18 juin 1976) a-t-il pu, sans états d’âmes excessifs, renforcer considérablement les exigences imposées aux candidats en fixant à 500 le nombre de présentations exigées ; le Conseil constitutionnel a validé cette modification, tout comme les autres (et nombreuses) modifications  relatives aux modalités techniques de l’élection présidentielle ;

b)  Alors que les électeurs ont, deux fois, nécessairement mais implicitement adopté le principe du renouvellement illimité du mandat présidentiel, lors des référendums de 1962 et de 2000, le Parlement a pu, sans se poser même la question de la légitimité de sa décision, décider, par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, que nul ne pourra désormais exercer plus de deux mandats consécutifs ; on peut s’interroger sur la légitimité de la décision du pouvoir constituant dérivé sur une telle question ;

c)  Le 6 novembre 1988, les électeurs ont adopté la loi référendaire portant statut de la Nouvelle-Calédonie[1] qui excluait de l’amnistie prévue à raison des évènements de Nouvelle-Calédonie les auteurs de crime de sang[2] ; cette disposition expresse, qui fut l’un des points les plus discutés lors de la campagne référendaire,  a pourtant été abrogée moins dix-huit mois plus tard par le législateur ordinaire[3], qui s’est bornée à prévoir que l’amnistie exclue par la loi référendaire était désormais étendue à ceux qu’elle excluait[4] !  Le Conseil constitutionnel a validé cette modification-abrogation de la loi référendaire par la loi parlementaire décision du Conseil constitutionnel n° 89-265 DC du 9 janvier 1990  qui juge que « … le principe de la souveraineté nationale ne fait nullement obstacle à ce que le législateur, statuant dans le domaine de compétence qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution, modifie, complète ou abroge des dispositions législatives antérieures ; il importe peu, à cet égard, que les dispositions modifiées, complétées ou abrogées résultent d'une loi votée par le Parlement ou d'une loi adoptée par voie de référendum… ». Un texte législatif adopté par voie référendaire peut être modifié ou abrogé par une simple loi ordinaire, adoptée par une majorité parlementaire dont il n’est même pas exigé qu’elle soit renforcée. Il en résulte qu’une disposition législative adoptée par le Peuple peut ainsi être subrepticement abrogée ou détournée de ses fins par le Parlement, sans que les électeurs puissent disposer du moindre recours pour l’en empêcher. Cette situation n’est évidemment pas tolérable sur le plan des principes démocratiques, alors même que le Conseil constitutionnel juge, par ailleurs, que les lois « adoptées par le Peuple à la suite d'un référendum, constituent l'expression directe de la souveraineté nationale »[5] et échappent ainsi à tout contrôle de constitutionnalité.

De manière plus anecdotique, la loi référendaire du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 a été abrogée, pour l’essentiel, par la loi loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, elle-même prise en application d’une révision constitutionnelle adoptée par… le Parlement réuni en Congrès !

Enfin, et s’agissant cette fois du respect d’une décision des électeurs rejetant un projet de loi, on relèvera que, si le principe de la transformation des régions en collectivités territoriales de plein exercice a pu résulter de la loi du 2 mars 1982 malgré l’échec du projet de régionalisation lors du référendum du 27 avril 1969, sans soulever une indignation publique excessive, il en est allé différemment de la ratification, à la suite d’un simple vote parlementaire, du Traité de Lisbonne, dont il est peu contestable qu’il reprend l’essentiel du projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe, à quelques aspects (certes, non dénués d’une forte importance symbolique) près, massivement rejeté par les électeurs lors du référendum du 29 mai 2005. Il est vrai que les trois candidats arrivés en tête lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2007, totalisant 75 % des suffrages exprimés, s’étaient unanimement prononcés en faveur de l’adoption d’un tel traité, et qu’ainsi l’électorat peut être regardé comme ayant massivement approuvé cette perspective… mais le malaise persiste toujours, et l’on a quelque difficulté à admettre que la volonté populaire soit ainsi bafouée en moins de deux ans.

De ces précédents, s’infère l’ardente nécessité de doter la Constitution d’une disposition qui préserve en toutes circonstances l’expression de la volonté populaire  contre des tentatives de la contourner sans un nouveau recours au référendum.

On pourrait donc imaginer que l’article 3 de la Constitution – qui traite de l’expression de la souveraineté nationale et consacre l’égalité de son expression par la voie du référendum ou par la voie représentative - soit complété par les trois aliénas suivants :

 

« En matière constitutionnelle ou législative, la décision du peuple prise lors d’un référendum, qui constitue l’expression directe de la souveraineté nationale, possède une autorité supérieure à celle des pouvoirs publics constitutionnels dans le même domaine.
« Les dispositions constitutionnelles et législatives adoptées ou approuvées par la voie d’un référendum ne peuvent être modifiées, privées d’effet ou abrogées que par la même  voie.
« Lorsqu’a été rejetée, par référendum, l’adoption ou l’approbation d’une disposition constitutionnelle ou législative ou l’autorisation de conclure un engagement international, il ne peut être pris de nouvelle décision sur un texte substantiellement identique, avant l’expiration d’un délai de dix ans, que par la voie du référendum.

Ces dispositions permettraient :
- d’une part, d’empêcher la modification substantielle ou l’abrogation d’une disposition constitutionnelle ou législative elle-même approuvée ou adoptée par référendum, sauf à y procéder à nouveau par voie référendaire (et sauf exception expressément prévue par la Constitution : en matière législative et dans les cas d’urgence, cette exception est prévue dans le nouvel article 46-2) ;
- d’autre part, d’interdire qu’un texte (révision constitutionnelle, traité ou loi) rejeté par le peuple soit ultérieurement adopté, sans nouveau référendum, en méconnaissance de la volonté des électeurs, à moins que ne ce soit écoulé un délai d’au moins dix années.

En  conférant désormais aux lois référendaires une autorité supérieure à celle des lois ordinaires, on imposerait au Conseil constitutionnel et aux juridictions ordinaires de laisser au besoin inappliquée, une disposition adoptée par le Parlement – qu’elle soit de nature constitutionnelle (approuvée par le Congrès, dans le cadre de l’article 89 ) ou législative - qui méconnaitrait manifestement la volonté des électeurs telle qu’exprimée dans une loi référendaire antérieure : on s’inspire ici du mécanisme du contrôle de conventionalité de l’actuel article 55.

Dans le cas d’un référendum concluant au rejet d’une révision constitutionnelle, d’une loi ou d’un engagement international, le défaut de consentement des électeurs rendrait inconstitutionnelle toute décision en sens contraire portant sur un texte substantiellement identique, avant l’expiration d’un délai qui pourrait être fixé à dix ans (ou à sept ans ?), sauf nouveau recours à la procédure de référendum. Une fois cette période écoulée, il deviendrait donc théoriquement possible de passer outre le résultat d’un référendum négatif ; durant ce délai, le renouvellement de l’Assemblée nationale et une nouvelle élection du Président de la République auront permis à l’opinion publique d’évoluer et, en tout état de cause, les procédures d’initiative populaire permettront toujours aux électeurs de se saisir de la question s’ils l’estimaient nécessaire, en proposant au Peuple d’abroger la loi nouvelle.

Pour autant, ce dispositif de cristallisation ne doit pas empêcher les pouvoirs publics d’adopter, en cas d’urgence, les mesures nécessaires à la vie de la Nation. On songe à une évolution brutale du contexte économique et social qui conduirait à devoir remettre en cause une législation adoptée par voie référendaire dans un contexte différent.

Aussi, devrait-il être possible, afin de pouvoir faire face à d’éventuelles situations d’urgence, de modifier une loi référendaire pourra par la voie parlementaire, à condition toutefois que la loi modificative soit adoptée d’une manière suffisamment solennelle : on peut songer à ce qu’elle doive être adoptée en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, puis soumise à l’approbation du Parlement, convoqué en Congrès par le Président de la République, et se prononçant à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, sur le modèle, mutatis mutandis, de la procédure actuellement prévue à l’article 89 pour l’approbation des projet de révision constitutionnelle par le Congrès du Parlement. On peut ainsi espérer que la solennité et la lourdeur relative d’une telle procédure éviterait  toute violation intempestive et excessivement politicienne de la volonté populaire.

Ces dispositions pourraient trouver leur place dans un nouvel article du Titre V de la Constitution, qui  pourrait être ainsi rédigé :

« Par dérogation aux dispositions de l’article 3, en cas d’urgence pour la vie de la Nation, les lois adoptées ou approuvées par la voie de référendum peuvent être modifiées, suspendues ou abrogées, avant l’expiration d’un délai de dix ans suivant le scrutin, par des lois adoptées en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat et approuvées, à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, par ces deux assemblées convoquées en Congrès par le Président de la République.
« Il en va de même en cas d’adoption de dispositions législatives précédemment rejetées par la voie du référendum. »

Le Conseil constitutionnel et les juridictions ordinaires se trouveraient en tout état de cause habilités, eu égard à la supériorité des lois référendaires sur les lois parlementaires, à écarter l’application des ces dernières au profit des premières.

Ainsi se trouverait comblée, sans difficulté juridique excessive, une lacune béante de notre droit référendaire et de notre démocratie.

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[1] Loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 
[2] L’article 80 de la loi référendaire dispose que : « Sont amnistiées les infractions commises avant le 20 août 1988, à l'occasion des événements d'ordre politique, social ou économique en relation avec la détermination du statut de la Nouvelle-Calédonie ou du régime foncier du territoire. / Toutefois, le bénéfice de l'amnistie ne s'étend pas à ceux qui, par leur action directe et personnelle, ont été les auteurs principaux du crime d'assassinat prévu par l'article 296 du code pénal. »
[3] Loi n° 90-33 du 10 janvier 1990 portant amnistie d'infractions commises à l'occasion d'événements survenus en Nouvelle-Calédonie.
[4] L’article 1er de la loi du 10 janvier 1990 dispose que : « Sont amnistiées les infractions commises avant le 20 août 1988 à l'occasion des événements d'ordre politique, social ou économique en relation avec la détermination du statut de la Nouvelle-Calédonie ou du régime foncier du territoire, par les personnes mentionnées au deuxième alinéa de l'article 80 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 ».

[5] C. const., n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962.

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